Les routines d'écriture

Trouver la sienne, c’est trouver la clé de son processus créatif

Par Marianne Brisebois et Joannie Roberge

*Le féminin englobe le masculin afin d’alléger le texte.

Si on est un oiseau de nuit, il est inutile de se faire violence pour se lever à l’aube pour écrire ou de s’imposer un horaire qui ne convient pas à notre mode de vie. Victor Hugo écrivait constamment, à tout hasard, en petits fragments, selon l’inspiration. Simon Boulerice peut écrire dans le métro, à l’heure de pointe, appuyé sur un poteau. Certaines autrices construisent d’abord un plan détaillé ou un schéma actantiel, alors que d’autres écrivent intuitivement (puis réorganisent le récit à la relecture).

Il n’existe donc pas de formule magique pour écrire un livre rapidement, mais nous vous présentons quelques pistes afin de vous aider à établir une routine d’écriture optimale.

Pour chacun des cinq aspects de la routine, Marianne partage avec nous les stratégies qu’elle a utilisées lors de la rédaction de SAUF QUE SAM EST MORT, paru en octobre 2021 et d'un prochain roman à paraître en 2022.

Le lieu

Même en ayant un bureau spacieux au décor Pinterest, il est possible que cette pièce de la maison ne soit pas la plus propice à la créativité. L'écriture est une expérience multisensorielle! Le bruit, le confort, les distractions et la lumière sont des facteurs qui influencent le choix du lieu. Certaines autrices écrivent exclusivement dans les cafés, d’autres ont besoin de silence, de musique, de la lumière du jour, etc. Toutefois, si notre temps est limité (si on travaille à temps plein ou si on a des enfants par exemple), il vaut mieux trouver un endroit à la maison où l’on peut être productive, faute de pouvoir sortir pour écrire.

Pour ma part, j’ai toujours écrit dans ma chambre, assise sur mon lit avec mes lunettes anti-lumière bleue et ma machine de bruits blancs allumée. Cela m’évite la fatigue visuelle, coupe les bruits ambiants et me permet d’être dans ma bulle. C'est encore mieux si mon chat vient se réchauffer à mes pieds!

L’heure

On a toute une période de la journée (ou de la nuit) où on se sent plus productive et inspirée. L’important est d’optimiser ce moment pour écrire - ou pour prendre des notes si le travail ou d’autres obligations nous empêchent de nous plonger plus longtemps dans l’écriture. Ce n’est donc pas parce qu’on est libre à un moment dans la journée que ce dernier est le meilleur pour se mettre à la tâche. Écrire quand on se sent en baisse d’énergie ou préoccupée ne servira à rien sinon à se décourager.

Si on est efficace et inspirée le matin mais qu’on travaille de jour, il peut valoir la peine de s’accorder une heure chaque matin avant le travail (avec un bon café!) ou même de demander congé un matin par semaine (si possible) pour se consacrer pleinement à l’écriture.

J’ai toujours été beaucoup plus efficace en matinée, donc même lors de journées de congé, quand je suis dans un bon élan créatif, je m’impose un réveille-matin. Un peu difficile sur le coup, mais je dois à cette routine à peu près toutes les pages que j’ai écrites.

La fréquence

Une fois lancée, l'écriture quotidienne est idéale pour ne pas perdre le fil et demeurer fidèle à la voix narrative. Il faut toutefois éviter de se mettre trop de pression lors des journées où les conditions ne sont pas réunies pour écrire. Construire sa routine aide justement à s’assurer de se réserver les meilleurs moments pour créer ou réviser notre récit. Certaines préfèrent écrire moins de mots par séance, d’autres se sentent plus efficaces en s’octroyant plusieurs heures d’affilée. Encore là, il s’agit de trouver son rythme, celui qui convient à son élan créatif.

Nous pensons qu’il faut toutefois éviter de tomber dans le piège d’attendre les conditions parfaites pour écrire, ce qui risque d’espacer de plus en plus les séances d’écriture. « Je vais attendre à samedi pour poursuivre mon chapitre, j’aurai tout l’après-midi et l’appartement juste à moi! ».

Si on a 30 minutes pour écrire, il ne faut pas hésiter à les utiliser. Au bout de l’année, ces petits moments de travail vont peut-être nous avoir permis de terminer la rédaction d’un roman. Le fait d’écrire régulièrement permet aussi d’éviter d’accumuler trop de retard si on avait prévu seulement une longue journée d’écriture mais que, le moment venu, la productivité n’y est pas!

J’écris mes romans rapidement parce qu’une fois lancée, il est rare que je passe plus de deux jours de suite sans écrire. Je m’accorde de longues périodes, environ trois heures, et j’ai appris à considérer le temps réservé à l’écriture comme non négociable quand on me propose autre chose. C’est important de le faire pour que l’écriture devienne plus qu’un passe-temps.

L’espace mental

Pour qu’une période d’écriture soit satisfaisante et efficace, il est mieux d’avoir pensé à ce qu’on veut écrire. Bien que l’inspiration puisse venir en écrivant et qu’un plan rédigé au préalable ne soit pas nécessaire pour tout le monde, l’espace mental pour construire le récit et s’imprégner d’une voix narrative demeure essentiel.

Si on a constamment notre téléphone sous la main pour texter, écouter des balados ou scruter les réseaux sociaux, on se laisse moins d’espace pour que le récit que nous sommes en train d’écrire nous habite et que les idées viennent à nous. Prendre une marche quotidienne ou un long bain sans distraction technologique peut faire toute la différence. La consommation culturelle représente une source d’inspiration et d’enrichissement, mais la sur-stimulation tue la créativité. Il faut donc trouver des moments où on peut avoir l’esprit complètement libre.

Les longues promenades avec mon chien sont partie intégrante de mon processus créatif. Je marche au minimum une heure par jour avec de la musique qui me met dans une ambiance où je laisse mes pensées se perdre dans l’histoire que je construis dans ma tête. Ma liste de lecture varie énormément d’une histoire à l’autre, selon les émotions qu’elle m’évoque. C’est souvent là que les dialogues se construisent, que les éléments se tissent ensemble pour guider les prochains chapitres.

La discipline

Notre routine est la condition de possibilité à l’atteinte de nos objectifs. Elle nous permet de mieux nous connaître comme autrice et d’intégrer l’écriture à notre quotidien. Après avoir identifié le lieu et le moment de la journée idéaux à une période d’écriture, il est important de réserver quelques plages à l’agenda. Sinon, la procrastination nous guette et on s’éloigne bien vite des objectifs fixés. Tout comme pour une séance d’entraînement, il sera plus facile de respecter son engagement si on a planifié des moments dans notre semaine pour s’y consacrer. Qui plus est, écrire n’a pas pour seul but de noircir un nombre de pages précis ou de terminer un manuscrit. Chaque fois qu'on écrit, on s’améliore, on affine son style et on trouve de nouvelles idées!

J’ai appris à dire non quand on me propose des activités un samedi matin alors que je suis complètement absorbée par l’écriture. C’est devenu primordial pour moi de profiter de chaque moment où la créativité est à son maximum. Ces moments où je ne vois pas le temps passer en écrivant sont précieux! Mettre de côté son téléphone et avertir la personne avec qui on habite (si on n’habite pas seule) de ne pas nous déranger peut aider à encadrer la routine.